• 3.     L’ouverture de l’anthropologie du don entre les époux dans l’adoption 

     

     

    3.1Harmonie des génies masculin et féminin 

     

     

     Rappelons d’abord l’importance d’affermir la conscience de notre dignité ontologique et de notre unicité. A partir de là, on peut mesurer combien l’authentique liberté est pour l’autre.

     Le fondement de l’être dans sa parenté a retenu l’attention de P. Benoit. Il situe la particularité de l’AMP dans un déni du fait que « tous les enfants de la terre sont, dès lors qu’ils sont nés, des frères en humanité à qui doit être dit et présenté à la chair le sens de l’être comme communion. […] l’éthique parentale se trouverait mieux si notre société évitait de produire des pauvres en filiation ».

     L’attribution de la juste place à la relation au père et à la mère ouvre notre être à la source première de son identité et fonde la responsabilité parentale .

     Voyons comment peut se dessiner l’altérité sexuée comme principe central de la fécondité de la personne.

    Pour prolonger la réflexion, l’altérité sexuée voulue selon Gn 2,18 est éclairante : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie ».  Ce terme ‘aide’ – à partir de l’hébreu ‘ezer’ – « arrive dans des circonstances très fortes. […] C’est le secours contre les forces qui vous écrasent, l’aide contre l’ennemi qui peut vous tuer ou vous imposer sa loi, vous défaire du statut d’homme, ou d’homme libre. C’est le secours divin qui vous sauve de la mort. L’aide de la femme ne saurait être considérée comme une assistance secondaire, elle est le secours vital » (M. Balmary). Alors peut s’exprimer la plénitude de l’homme en présence d’Eve – « comme autre dans la parole » - qui l’emplit d’admiration : ensuite, « Voici cette fois  l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23) où l'aide n'est pas unilatérale, mais réciproque. […] Le féminin réalise l'« humain » tout autant que le fait le masculin, mais selon une harmonique différente et complémentaire». La juste compréhension de cette complémentarité est celle qui s’allie aux caractéristiques ontologiques : c’est par la « dualité du ‘masculin’ et du ‘féminin’ que l'« homme » se réalise pleinement » (Jean-Paul II), montrant le caractère fondamental de cette communion des personnes dans un être-de-don. Il y a le génie féminin : « La femme est celle qui reçoit l'amour pour aimer à son tour [sans penser] seulement ou avant tout au rapport nuptial spécifique du mariage [mais aussi] dans l'ensemble des relations interpersonnelles qui structurent de manières très diverses la convivialité et la collaboration entre les personnes, hommes et femmes ». En tant que porteuse d’une fécondité ‘intra-mondaine’, elle est amenée à percevoir particulièrement l’authenticité des relations humaines ainsi que la dignité de chaque être humain.

     L’altérité sexuée est le principe de l’union conjugale dans la mesure où aucun individu humain n’est auto-suffisant pour prétendre procréer par parthénogenèse. Dans la relation matrimoniale, le don total comprend un sens d’ouverture au fruit qui le transcende : cette personne elle-même signe d’une altérité nouvelle vient enrichir la famille et sa venue manifeste sa prédestination à naitre de l’amour de ses parents.

    L’altérité sexuée est le pilier de la relation et constitue le principe central de la fécondité de chaque personne. L’altérité peut être également vue sous l’angle de la relation interpersonnelle. Ainsi, la métaphysique lévinassienne  fait prévaloir la fraternité, au sens de la responsabilité envers autrui, sur la liberté, ce qui peut paraitre ontologiquement discutable. Néanmoins, son approche du visage emblématique de  la vulnérabilité et de la fragilité d’autrui justifie de transcender la seule solidarité immanente et de renoncer à toute tentation de critère d’humanité.  

     

    3.2Altérité sexuée, principe de bonheur du couple et de la famille 

     

    3.2.1           Quelle liberté personnelle ? 

     

     

     Pour assurer le déploiement de l’être personnel, une intégration des inclinations naturelles auxquelles donner une direction, est nécessaire. Combien les facultés de la volonté et de l’intelligence sont appelées au service d’une authentique liberté pour éviter l’écueil de la quête d’une émancipation, signe d’un affront à la raison. L’appel transcendant à une « liberté-pour » participe à la découverte du mystère de notre être. En ce sens, la raison éclaire la volonté d’agir selon une dynamique de croissance grâce à notre conscience morale – intrinsèque à notre être propre - en particulier au cœur des choix responsables posés  dans la sphère familiale. Dépassant le seul horizon éthique pour emprunter le chemin de son sens ontologique, la parenté peut être définie avec bénéfice comme « un amour originaire et contemplatif donné à l’enfant dans sa chair pour lui signifier le sens de l’être et l’intégrer à la famille » (P. Benoit).

     

    3.2.2           La relation au sein de la famille 

     

     Concentrons-nous maintenant sur l’accomplissement de notre nature personnelle dans la famille. Ainsi, dans un lien étroit avec la recherche authentique de notre être-de-don, voyons comment chaque sujet peut poursuivre cette quête de la vérité en se recentrant sur le caractère indissoluble du mariage comme fondement du bien commun de la famille. L’exigence intérieure de cet amour aux antipodes d’un bonheur utilitariste, entendu seulement comme plaisir, comme satisfaction immédiate au profit exclusif de l'individu  permet de mieux mesurer la stérilité de l’individualisme. D’ailleurs, celui-ci dans l’irrespect de la profonde dignité de la relation interpersonnelle n’est pas sans lien avec le consumérisme ambiant, particulièrement affectif et sexuel. Au contraire, la fidélité de l’amour conjugal appelle à une croissance et une circulation du don jusqu’à son vertigineux dépassement dans le ‘par-don’ des blessures réciproques. Nous sommes alors au cœur du langage amoureux nous conduit à approfondir la signification de l’union conjugale comme une « connaissance » dont l’étymologie (cum-nascere) évoque la naissance commune à une nouvelle réalité où se manifestent l’intention et l’essence de la relation matrimoniale : la naissance mutuelle à la vraie humanité des époux, conjuguant l’unité et la diversité dans le don, signe de leur ouverture à une authentique fécondité. D’ailleurs, la procréation – en tant que l’un de ses  fruits - est une continuité de la « connaissance » dans le troisième par le surgissement de la paternité/maternité. Le mariage est porteur d’alliance entre les sexes et la génération : quel intérêt y-aurait-t-il à « dissoudre sa signification […] pour les enfants à naitre et pour les amants à venir » (X. Lacroix) ? C’était quelques années avant la légalisation opérée par la loi Taubira de 2013 ! P. Benoit révèle également une caractéristique conférée tout spécialement par le mariage à la parenté, en tant que « relation donative d’origine entre la communion d’un homme et d’une femme mariés […] et l’enfant qu’ils ont procréé, en vue de son bonheur ».

     Orientons-nous maintenant vers l’horizon axiologique de la relation de filiation, au sein  de laquelle sont privilégiés l’accueil, la dépendance et l’attente. Cette relation trouve son ancrage dans le corporel  ou bien dans la différence sexuée lors de l’adoption qui prolonge l’empreinte charnelle initiale des géniteurs absents. Ceci est corroboré par le fait que la reconnaissance dans l’engendrement échappe au primat du seul désir. Par conséquent, l’impératif d’une différenciation subjective va s’incarner par « une parole dans un corps sexué et dans une généalogie » (D. Vasse) elle est le signe d’un engendrement irréductible à la fonction contemporaine dénommée ‘parentalité’. C’est alors que la relation parent-enfant sera susceptible d’une harmonie entre « la référence à l’origine, l’intégration dans une lignée et la définition d’un cadre institutionnel », y compris dans l’adoption envisagée comme une « réécriture de l’engendrement » selon l’expression de M. Schneider. L’approche personnaliste de l’être humain permettra d’en approfondir le sens en considérant la relation parentale dans une perspective ontologique. En effet, elle ouvre à un dépassement du seul fait biologique, culturel, institutionnel, charnel ou éthique (au sens de la responsabilité défendue par E. Lévinas).

     La valeur de la relation de filiation prend consistance à partir de l’ « in-connaissance » originelle réciproque inhérente à l’altérité sexuée – au sens où l’homme ne peut savoir ce que c’est que d’être femme et réciproquement – et favorable au développement de l’enfant « protégé d’une parenté totalitaire » (M. Balmary). La conscience de cet enracinement permet de mieux mesurer les effets potentiels colatéraux du nouveau concept d’ « homo-parentalité » pour la croissance de l’enfant. De plus, céder au vécu d’une ‘homofiliation’ serait une manière de renoncer à la complémentarité sexuée  dans la relation. P. Benoit résume le risque inhérent à une perspective opposée à une anthropologie du don en écrivant que « le développement des AMP, comme la revendication de l’homoparentalité, sont des défis […] à l’intelligence métaphysique de notre culture et à sa générosité » et invite à approfondir la philosophie personnaliste avec une ontologie du cœur de l’être.

     

     

    3.2.3           Le bonheur des personnes et de la communion familiale 

     

     Pour demeurer dans la continuité de la relation amoureuse comme point essentiel d’ancrage familial. Le désir et la tendresse sont ainsi les piliers d’un merveilleux prélude à une possible rencontre dans l’harmonie charnelle.

    P. Benoit amène à considérer la parenté comme une « cause exemplaire » du développement de l’enfant ; elle s’exprime dans le don et la communion ; en tant qu’amour dans l’être, elle a un « sens sapiential […] dont la finalité est le bonheur de l’enfant en son être ».

     Le consentement de cœur à l’œuvre dans l’accueil de l’altérité de l’enfant adopté peut être perçu  comme une explicitation de ce qui habite, en creux, l’accueil naturel d’une vie. Laissons-nous habiter par cette  circulation de joie de l’amour conjugal. Nous saisissons alors davantage les repères fondateurs du bonheur au sein de la famille, qui s’avèrent d’autant plus primordiaux que les impasses contemporaines de la masculinité – dans la fascination pour la techno-science - ou de la féminité – dans la séduction – déforment cette unité.  N’est-ce pas aussi ce qu’analyse le philosophe T. Avalle à propos de la voie exclusive d’une rationalité immanente : « La substitution pure et simple de la science à l’amour incarné […] non seulement transgresse la gratuité du don originel, mais menace aussi l’esprit même de la famille» ? Le mariage, sans être la promesse d’un bonheur est bien plutôt «l’engagement à partager la chair du bonheur et du malheur dans un lien personnel d’amour » (P. Benoit) fondée sur l’altérité sexuée. Comment mieux entrer en contact avec le réel – et non l’illusion – de la famille dans sa fragilité qu’au cœur de cette communion où s’y révèle  l’amour comme « puissance suprême de dépassement, force d’épanouissement de notre nature dans sa fécondité créatrice » (G. Siewerth) qui est appelé à atteindre la perfection.

      

     

    3.3Altérité sexuée, principe social constitutif de la communauté familiale 

     

    2.3.1           Comment la stérilité dénoue les multiples  interrogations de  la différence sexuée 

     

     

     La différence sexuée dont une part demeure de l’ordre de l’insaisissable ne peut être abordée par les seules catégories sociales sans risquer d’être caricaturée. Dans ce contexte transhistorique, certaines formes de sa compréhension tendraient à la classer comme un ‘fatum’ subi ou bien une barrière pour l’humanité.

     Dans le registre de la fatalité pour qualifier la différence, se situe en particulier soit la lecture paléoanthropologique immanente limitée au hasard de la sélection naturelle, soit la vision éthologique de la lutte pour la vie, comme simple transposition du monde animal. Une autre voie héritée du monde grec est l’androcentrisme, vecteur de la supériorité de l’amour de l’identique sur la nécessité subie de la survie de l’espèce.  Ainsi, chez les Spartiates, la pédérastie était de rigueur parmi les hommes alors que les femmes pratiquaient l’homosexualité ; de plus, la polyandrie et la procréation à tout prix conjugué à l’eugénisme n’ont pu contribuer à la perpétuation de leur civilisation. De manière analogue, la conception napoléonienne de la différence sexuelle et du mariage suggère une injuste reconnaissance de l’inégalité entre l’homme et la femme. Ces approches relèvent finalement surtout du consensus, renonçant à l’enjeu de sens que nous a déjà dévoilé l’altérité sexuée dans tout ce qui précède. N’est-ce pas ce renoncement à saisir la richesse de l’exercice de notre liberté authentique qui , de fait, fera violence à la raison   en refusant la contingence du donné de notre être sexué ? Se profile alors le risque d’une voie antithétique au soutien mutuel du masculin et du féminin  alors même que celui-ci peut agir en vue d’un dépassement.

     La différence entre l’homme et la femme constitue, selon certains courants, un obstacle. Tel est le cas d’une suprématie accordée au rôle social incombant à chacun : dans cette distinction réduite à la seule complémentarité sociale s’immisce une aporie mise à profit par la revendication égalitaire. Elle constitue un point de convergence d’une part avec le mythe androgyne déjà abordé en 2.1.1  pour lequel le déni de la différence alimente une auto-suffisance et d’autre part avec le désir d’indifférenciation inhérente à la pulsion homosexuelle. En contre-point, S. Agacinski insiste sur la « mixité de l’humanité [n’étant] pas seulement une donnée de l’anthropologie physique : elle est aussi une dualité structurante et une valeur car elle est génératrice de singularité et d’hétérogénéité » (S. Agacinski). De plus, nous avons vu dans les développements précédents, combien un enfant, reconnu d’abord comme un don dans son identité filiale, requiert aussi des repères structurants que le duo homosexuel ne peut naturellement assumer  malgré son légitime désir de fertilité. N’est-ce pas une occasion d’insister à nouveau avec réalisme sur la juste combinaison de la différence et de l’égale dignité au sein de l’humanité plurielle pour éviter la voie de l’affrontement et de la caricature si peu propice à la croissance de chacun ?

     Penchons-nous maintenant sur la valeur intrinsèque de la différence sexuée  pour tendre vers la grandeur de l’altérité entre l’homme et la femme. Par exemple, l’être humain connait, dans sa croissance, une phase d’intériorisation de la bisexualité psychique adolescente – i.e «la capacité d’être en relation  avec l’autre sexe » (X. Lacroix) - essentielle dans la recherche d’identité et également dans la démarche axiologique à propos de la pleine humanité. Par ailleurs, la prévalence du sentiment dans le registre amoureux pourrait, au détour d’un « manquement au charme de l’amour à deux », aller « jusqu’à la dévalorisation du sexe » (A.Donval) ; n’est-ce pas là aussi une forme d’égarement devant la réalité de la différence de relation à la parole et à la vie où nous convie le dépassement de la seule différence pour faire place au mystère de l’altérité ? C’est en ce sens que X. Lacroix nous conduit au-delà de la philosophie de la liberté-indifférence pour laquelle « la différence serait plus dépendance que valeur, plus accidentelle qu’essentielle, plus détermination que modalité de la liberté » : il nous invite à ne pas se heurter à la seule dialectique de l’insaisissable pour oser la perspective d’une alliance féconde. Alors, les différences « assumées, voulues, personnelles » édifient « l’alliance des sexes » dans un apprentissage réciproque et enrichi par l’écoute. Nous pouvons en trouver une tournure métaphorique dans l’expression d’ordre phénoménologique de « deux ‘étants’ différents, certes, mais porteurs de fécondité pour l’à-venir. Pour compléter cette approche du mystère de la personne, la dynamique dialectique gagnera à s’accompagner d’une juste reconnaissance de l’unité ontologique. A partir de cet approfondissement métaphysique pourra alors se dégager une meilleure lucidité face à des écueils confusionnels, tels ceux qui vont suivre. 

     

    3.3.2           La stérilité révèle aussi la fausseté de l’égalité sexuée 

     

     

     Des perceptions de suprématie de l’homme – en tant que modèle de l’humanité – ou d’un affrontement entre une andrologie et une gynécologie au détriment de l’unité sont, de manière récurrente, des arguments avancés par les fondateurs de l’utopie égalitaire. Pour mieux saisir la valeur-même de l’égalité entre l’homme et la femme, précisons d’emblée que chacun est membre de l’humanité au même titre : il se voit donc conféré une égalité substantielle en dignité et en droits, condition d’un « renoncement solennel à la violence entre les hommes et les femmes » (P. Moreau).  Toutefois, il n’est nullement question de niveler leurs différences sexuées, leur originalité ou leur personnalité.

     Inversement, le conflit égalitaire cache une ambition uniformisante qui est, inévitablement, signe d’un affadissement voire d’un étouffement des charismes propres. Dans la continuité, les revendications répétées pour le ‘mariage homosexuel’ ou l’’homoparentalité’ défendent que la notion de droit – inhérente juridiquement à une personne – est prétendument à attribuer au couple. Une égalité de droits pour des catégories fictionnelles – ‘hétérosexuels’ ou ‘homosexuels’ – ne se justifie pas davantage puisque ce n’est pas « la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage ni la parenté, mais d'abord le sexe, c'est-à-dire la distinction anthropologique des hommes et des femmes » (S. Agacinski). Cet éclairage permet de séparer l’essence du principe d’égalité et l’appel à un égalitarisme au nom d’un absolu qui s’affranchirait des différences de situation.

     Les défenseurs de la théorie du ‘gender’ rejoignent cette perspective faussée de l’égalité. Selon eux, le genre désigne l’identité sexuelle choisie librement en fonction de la perception subjective du sexe et de l’orientation sexuelle, indépendamment du sexe biologique. La démarche consiste donc à se détourner de la différence anthropologique entre l’homme et la femme. Si les ‘gender studies’ qui se basaient sur un travail avant tout psychanalytique sur la transsexualité ont une légitimité scientifique, la théorisation philosophique, et combien plus sa radicalisation, s’avère totalement discutable. Elle fait réémerger le combat entre la nature et la culture, en ne voulant conserver que cette dernière. En ce sens, le choix d’une identité prétendrait effacer l’élaboration objective de l’être sexué. Cette approche apparait en résonance forte avec un idéalisme de déni de l’objectivité de la condition humaine, tel que le défend C. de Haas : « Devenons indifférents aux différences : nous ferons ainsi un grand pas en avant vers l’égalité », alors même que, dès notre conception, nous sommes génétiquement différenciés. Cette déconstruction dans l’auto-détermination et la prévalence des préférences sexuelles sur l’axiologie de la famille est d’une ampleur tangible dans de multiples instances. Ainsi, à l’O.N.U., nous assistons à l’éclipse du mot ‘maternité’ depuis la conférence de Pékin en 1995, au prétexte de l’inégalité dont elle est porteuse. Toutefois, dans cette revendication à l’égalité, transparait  encore la différence entre les sexes. L’étape désormais d’actualité se situe plutôt dans  le radicalisme du ‘queer’ pour lequel le refus des différences impose de repenser les identités hors du clivage : J. Butler  n’écrit-elle pas que « le travestissement constitue la voie mondaine par laquelle les genres […] se fabriquent »? Selon cette vison extrême du ‘gender’, la dissociation entre la sexualité et la procréation est consommée et « l’humanité pourra enfin revenir à sa sexualité naturelle perverse polymorphe » (O.A. Revoredo) … mais selon une conception radicalement arbitraire.

     Ce primat à l’orientation sexuelle vise à refondre la conjugalité et la parenté en portant l’accent sur une diffuse ‘parentalité’ (supra 2.2.3) au nom d’une éthique individualiste. Ce contexte largement idéologique évoque un néo- pélagianisme séculier où il s’agit de se réaliser à partir de rien et dans la suffisance de soi  pour refuser l’altérité sexuée et défendre que chacun soit son propre créateur. Comment ne pas reconnaitre ici l’antithèse de la fécondité de la communion conjugale et familiale où la liberté est conduite par la vérité de nos êtres telle qu’approfondie par notre réflexion ?

     

     

     

     

    3.3.3           L’adoption du couple sexué 

     

     

     3.3.3.1              L’être de don au sein de la famille 

     

    Au sein du mariage, ‘prendre soin’ est un point central de la rencontre des êtres dans leur altérité sexuée. C’est ainsi que la personne du conjoint est le prochain par excellence, avec une dignité en résonance directe avec le sens-même de notre propre conversion intérieure. Le « mariage des cœurs » (P. Benoit) exprime authentiquement le lien entre ce chemin d’accomplissement et le don conjugal. Pourquoi ne pas oser une analogie avec l’accueil  adoptif d’un enfant dans la mesure où s’y réalise une transmission de l’amour dans une unité ontologique de communion ? Nous retrouvons alors la  fécondité du couple dans l’altérité sexuée dans l’expression de « la possibilité du corps sexué qui peut orienter la fille vers la maternité et le garçon vers la paternité » dont la  situation d’ « homoparentalité » est par essence exclue. C’est ainsi que le sens de la parenté authentique se révèle dans la croissance et l’épanouissement de toutes les dimensions de l’être de l’enfant.

    Contrastant avec l’ignorance du cœur induite par le monde cartésien, le philosophe P. Benoit insiste également sur l’articulation du cœur et de l’amour en tant que pivots de l’apprentissage de la vie familiale où la relation parentale est un « corps à cœur ». Le bonheur familial se réalise alors en consentant à se recevoir d’un autre d’une part dans le don – manifesté par le travail,  l’attention, le service, la présence, … - et d’autre part dans l’accueil – par l’hospitalité, la parole, le sentiment. De cette manière, est  appelée à s’harmoniser la diversité des charismes propres en vue du développement intégral des enfants. En ce sens, le  parent exprime une attitude profonde en étant tourné vers le sens de l’être de son enfant dans son intégralité. Alors, cette signification de la parenté  adossée à un fondement transcendant peut s’ouvrir sur une axiologie au-delà de la famille.

     

      3.3.3.2            La Nation : chemin vers la Paternité ? 

     

    Dépassant le cercle familial, voyons en quoi la nation peut être envisagée comme porteuse de fécondité. Suivons F. de Lacoste Lareymondie dans un rapprochement entre des déconstructions subies dans la société post-moderne :  d’une part, celle du concept d’identité «  de chaque individu, dans son sexe (nié, transgressé, réinventé), sa filiation (biologique, nourricière, affective), sa famille (originelle, recomposée, élective) […] et de toute communauté récusée en tant qu’héritage et revendiquée en tant que construite par et pour soi », d’autre part, celle du concept de nation malmenée par la structure supranationale et technocratique européenne. Loin d’accréditer le raccourci des nationalismes exacerbés, P. Manent n’écrivait-il pas que « Si notre nation disparaissait soudainement, […] chacun de nous deviendrait à l’instant un monstre pour lui-même  » ? F. Braudel éclaire « le concept d’identité nationale […] finalisé [i.e] ordonné au bien commun [qui invite] à faire dialoguer [sa] face objective en tant qu’héritage de la géographie, de l’histoire, de la langue, de la culture  au travers de filiations et [sa] face subjective  […] part que chacun assume de cet héritage [dans une] entreprise jamais terminée ».

     Par son étymologie – du latin ‘nasci’ : naitre – la nation a la vie comme perspective. Mieux comprendre la réalité de la nation nécessite de la situer dans sa solidarité et son souci de l’unité. En elle s’érige également un rempart contre le risque de stérilité inhérent à  l’uniformité. Elle a un rôle central pour promouvoir la la fécondité de la famille.

     La vision plus spécifiquement anthropologique de P. Hude part d’une « conception organique de l’ordre des êtres [où] chaque individualité est relative au bien commun du tout. [Par analogie], les Nations se définissent en partie par leurs relations mutuelles […] au bien commun, spirituel et temporel du genre humain dans son ensemble, compris comme une grande famille de peuples ». Il met en garde contre un dialogue réduit à une intersubjectivité pure : « Sans attention à l’être, […] le respect mutuel n’est plus que tolérance, la tolérance n’est plus qu’impuissance, l’impuissance devient lâcheté », ce qui n’est pas sans rappeler l’issue d’un ordre mondial fondé sur une seule éthique consensuelle intrinsèquement relativiste. Ensuite, il précise que la relation authentique entre les nations requiert qu’elle soit « normée par l’idéal universel  du vrai et du juste [intégrant] l’amitié [entre les peuples] et […] une meilleure contemplation de la vérité en vue du bien commun ». 

     A partir de la conscience de la diversité des langues et des cultures comme repère d’identités des peuples, émerge un rôle également unificateur. Néanmoins, la nation doit éviter l’écueil d’une absoluïté qui favoriserait un égoïsme de clan cultivant le culte du chef, jusqu’au risque du chauvinisme et de la xénophobie. Toutefois, peut se dégager la voie de la dynamique fraternelle envers les autres cultures pour une paix durable, telle qu’y invite M. Blondel dans sa philosophie de la paix, en laquelle résonne sa vision de la croissance de  l’homme ouvert au don. Ainsi, autant l’être personnel que l’identité de la nation peuvent être analysés de l’intérieur en posant  le regard sur « l’Etre premier qui les enveloppe dans une familiarité et une participation de son Etre : [ils sont alors] comme des cousins par rapport à leur Origine» (H. Hude).

     Les dérives d’une liberté considérée comme ontologique jusqu’à défigurer la nation et servir de prétexte à l’ostracisme ou à l’eugénisme  nous amènent à foncièrement réserver le primat à la personne et à la famille.

     


     

    Conclusion 

     

     

     Par analogie avec l’altérité sexuée comme principe central de la fécondité pour l’être personnel et politique, les perspectives d’analyse du paradigme culturel actuel ont émergé. Elles mettent en évidence que le relativisme et la crise identitaire des peuples  tendent à émaner d’une dichotomie radicale entre la quête de la diversité et le souci de l’unité. N’est-ce pas d’ailleurs l’essoufflement du mode consensuel mondial qui invite instamment à revisiter l’universalité de la nature humaine en la conjuguant à une juste inter-culturalité ?

     La richesse de l’humanité plurielle se révèle bénéfique aux  différentes dimensions de l’être humain avec d’autant plus d’acuité que la place de la métaphysique - en tant que vision de  la réalité unifiée autour du mystère fondamental de l’être - est mise à l’honneur. Combien cet approfondissement prend tout particulièrement sens dans  l’adoption d’un enfant : à la responsabilité éthique qui émane d’une telle parenté dont la dimension est humainement vraie et riche, il s’agira toutefois de lui adjoindre  la dimension de don intra-conjugale et intra-familiale avec le regard tourné vers la parenté intégrale. Le sens métaphysique de l’être de l’enfant pourra alors se dégager à partir d’une part de l’altérité sexuée vécue au sein de l’alliance conjugale et d’autre part de l’accueil de son Origine première.

     Il en ressort que   la personne humaine comme être-de-don ainsi que l’être conjugal et familial s’avèrent constitutifs de la condition humaine.

     


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